Seloua Luste Boulbina est une philosophe et chercheuse en sciences-politiques franco-algérienne qui travaille sur la colonie et sur le moment postcolonial, sous l’angle des subjectivités et sous l’angle des savoirs.
Pour elle, le grand enjeu est la décolonisation, telle qu’elle la définit : non comme l’accession aux indépendances, mais comme ce qui vient après, de manière lente. La décolonisation est un travail plus qu’un processus. Ce serait une erreur de la considérer comme un idéal : on ne peut en finir avec la décolonisation, c’est une Révolution lente. Et on ne peut en mesurer les résultats, il n’y a pas d’expertise de la décolonisation. Tout est hybridé. Les hommes des indépendances étaient européanisés, ce qui a donné lieu à des formes hybrides. La colonialité est un tissu, une structure, qui s’est desserrée sur le plan politique avec l’accession des pays à l’indépendance, mais en préservant de la domination et de l’ingérence.
Seloua Luste Boulbina s’intéresse à l’empreinte matérielle, intellectuelle, psychologique laissée par la décolonisation. Elle évoque la difficulté de décoloniser les imaginaires, car comment savoir ce qui est colonisé et ce qui ne l’est pas. Nous faisons face à une double impossibilité : impossibilité de se décoloniser et impossibilité de ne pas se décoloniser. La colonie a crée une imbrication.
Alors que les mondes extra-européens ont été regardés comme des univers de la réception et de l’imitation, ce qui est fondamental, c’est la décolonisation par l’art, par la musique en particulier, paradigme même de la décolonisation : tout ce que nous entendons aujourd’hui est irrigué par la musique africaine. C’est le lieu où il y a le moins d’aliénation à des formes dominantes – la musique est un grand espace de liberté, et de collaboration : dans la réciprocité (qui est la preuve que ce n’est pas un rapport colonial)
Elle termine par l’inspiration qu’elle tire dans Saïd et Fanon : alors que l’injonction était de devenir autre que soi, avec Fanon et Said, elle a eu des prises qui lui ont permis d’avancer.